Le Golf Drouot

Le Golf Drouot








 
LE TEMPLE DU ROCK 1955-1981
Au coin de la rue Drouot et du boulevard des Italiens, se tenait dèjà, il y a 45 ans, Le Café d'Angleterre. Une énorme brasserie comme il y en avait beaucoup au début du siècle, aujourd'hui remplacée par un bien ordinaire Mac Do. Mais au n° 2 de cette même rue Drouot, une porte battante, puis un escalier à 40 marches.
40 marches exactement. 40 marches vers le paradis de tous les jeunes qui savaient aligner à peu près correctement 3 accords sur une guitare, ou brailler les approximatives paroles de tel ou tel rock and roll, saisies après l'avoir écouté un million de fois sur le Teppaz de la maison
40 marches au-dessus du Café d'Angleterre, trônait...
-1955 -
En sortant du métro Richelieu-Drouot, la première chose qui vous sautait au visage, c'était cet énorme café situé de l'autre côté de la rue Drouot : Le Café d'Angleterre.
Ensuite, si vous leviez un peu les yeux, à l'angle de la rue Drouot et du boulevard des Italiens, à dix mètres de hauteur et en lettres de néon, vous pouviez lire " Golf Drouot ", suivi d'une très longue flèche, elle aussi en néon, qui longeait la rue Drouot et allait se planter au-dessus de la porte du n° 2.
Un golf à Paris??... la chose semblait déjà bizarre et on était loin de penser qu'il allait bientôt devenir une légende...
Madame Perdrix, était la propriétaire du seul golf miniature couvert de Paris. Un petit parcours tranquille de neuf trous alors très peu fréquenté, ou Colette future Madame Leproux tenait la caisse et où Henri Leproux entra tout d'abord comme barman.
A l'initiative de Mme Perdrix et pour tenter de faire venir du monde, le club devint, sous le nom de "Cup-of-Tea", un "salon de thé dansant"... Les Grands Boulevards en regorgeaient à l'époque : dans une ambiance de velours, des dames très bien venaient y déguster des pâtisseries, assises devant une tasse de Earl Grey, de Darjeeling ou de Royal Ceylan... sur fond musical "piano et contrebasse", elles écoutaient les chansons douces susurrées par Henri Leproux, ce jeune et beau chanteur qui passait tranquillement de son statut de barman à celui de chanteur de charme...
Dans une seconde phase, beaucoup plus mondaine, Mme Perdrix engagea comme"public-relation" la comtesse russe Irène Strozzi, ainsi que l'acteur en vogue Pierre Brice. Le décor changeait, mais restait toujours aussi "feutré". On pouvait, à présent y dîner et y souper. Henri Leproux (toujours lui !) y tenait le rôle de 1er maître d'hôtel, assisté de trois chefs de rang aux tenues impeccables. Bridge et Canasta étaient aussi au programe et chose rare, le club possédait la télévision.
La comtesse avait de bonnes manières, ainsi qu'un carnet d'adresses fourmillant d'artistes amis qu'elle recevait à merveille: François Perrier, Marie Daems, Michel Emer, Jacqueline Maillan et beaucoup d'autres.
Le club évolua ainsi pendant deux ans, mais sans jamais faire le succès escompté Mme Perdrix …un peu agacée. Revenant à son point de départ, le lieu jouit d'un très faible fréquentation.

 1958-1959
La venue au Golf par le plus grand des hasards de quelques teenagers désoeuvrés en mal de nouveautés ou simplement de passage dans le quartier, changea pourtant l'ambiance du club. Réunis autour de l'électrophone d'Henri tout en écoutant : Rock Around The Clock à longueur d'après-midi, les langues se déliaient.
"En Amérique paraît-il, Bill Haley a vendu un million et demi de disques". Certains de ces jeunes avaient des copains soldats américains du S.H.A.P.E., qui voulaient bien leur vendre les 45 tours qu' ils possédaient. D'autres revenaient d'Angleterre avec des trouvailles extraordinaires. Quatre ou cinq d'entre eux ( les premiers arrivés) devinrent les piliers du lieu… Quelques nouvelles têtes se présentaient réguilèrement, attirées par l'atmosphère particulière qui se dégageait de cet endroit. Henri servait
à ce petit monde Coca-Cola et sodas, tous s'entendaient comme larrons en foire, unis par l'envie d'en savoir plus sur cette nouvelle musique qui débarquait en Europe et qu'on appelait "Rock and Roll"
C'est ce moment-là que Henri choisit pour exposer à Mme Perdrix le projet qui lui trottait dans la tête depuis quelques temps : faire du Golf une discothèque réservée aux jeunes, avec un prix d'entrée bas, une ambiance pas snob, et la musique prévalant sur tout le reste.…
- "Donnez-moi carte blanche" dit il, "cette idée correspond plus à mes goûts. Ces jeunes ne sont pas génés de fréquenter les Boulevards, eux n'ont pas de problèmes de stationnement et n'hésiteront pas à grimper cet escalier si raide, qui exige des jambes robustes".
Mme Perdrix laissa faire en précisant à Henri qu'il allait devoir, cette fois-ci se débrouiller seul : Pas de crédit, pas d'investissement. 

Par la suite, Henri trouva, en la personne du directeur de la firme Seeburg qui importait les juke-boxe en France, quelqu'un de compréhensif et il se vit confier un juke-boxe d'appartement entièrement marqueté en bois verni qui, pour les présélections fonctionnait grâce à un système de barette. Ce chef-d'oeuvre pouvait contenir 100 disques, soit 400 titres à raison de quatre titres par disque .
La nouvelle de son arrivée au Golf se répendait comme une traînée de poudre et les teenagers pouvaient- moyennant un coca au prix modique de 1 franc- passer autant de temps qu'ils le voulaient devant le Seeburg bourré de disques de Rock.
                                                                     -1961-
Trés vite beaucoup de jeunes garçons et filles du même âge se joignirent aux fidèles de la première heure.Tous aimaient se retrouver dans un seul et unique but, écouter cette musique qui déferlait maintenant sur le monde. Toutes les bandes issues des différents quartiers de Paris et de sa banlieue n'en formèrent plus qu'une "la bande du Golf". Une bande pacifique, animée par cette passion dévorante pour la musique. Le phénomène prit de l'ampleur: chaque personne qui entraitt au Golf revenait à coup sûr avec au moins deux ou trois potes, garçons ou filles qui, à leur tour revenaient avec deux ou trois personnes afin de leur faire partager l'ambiance unique de cet endroit. Quelques personnalités exacerbées allaient devenir leaders des groupes de la première génération sur la scène du Golf. Tout cela donna lieu a une véritable émulation: chacun répétait de son côté, dans les garages, les appartements, les maisons, à Paris, en banlieue ou en province…, qui à la batterie, qui à la guitare… à deux, trois ou quatre… ils travaillaient tous d'arrache-pied. Copiant dans un premier temps leurs "idoles", anglaises ou américaines, ils façonnèrent peu à peu leur propre voie musicale.
Schmoll, futur Eddy Mitchell, qui travaillait au Crédit Lyonnais voisin, est déjà un assidu des week-end du Golf quand Christian Blondieau (bientôt Long Chris) et Jean-Philippe Smet (déjà Johnny) y apparraissent pour la première fois. De cette "nouvelle vague", Johnny fut sans conteste l'un des premiers à obtenir un contrat d'enregistrement et à sortir son disque. C'est lors de sa toute première visite au Golf, en février 60, qu'il apporta lui-même à Henri le "souple"(test gravure) de cet enregistrement chez Vogue: T'aimer Follement, et Laisse Les Filles. Henri le mit religieusement dans le Seeburg, afin de le faire entendre à tous les copains qui accueillirent chaleureusement le1er disque d'un des leurs.
On assista ensuite là un véritable "raz de marée" des groupes. Chaque maison de disque, pour ne pas être en reste cherchait à avoir "son" groupe : "Les Cinq rock" d'Eddy Mitchell devinrent pour Barclay Les Chaussettes Noires et sortirent en Décembre 60 leur premier disque : un super 45tours comportant bien sûr Be-Bop-A-Lula, Tant Pis Pour Toi, adaptés de Be-Bop et Wild Cat de Gene Vincent, Tu Parles Trop -You Talk too much de Jo Jones et Si Seulement, d'après le Dirty, Dirty Feeling d'Elvis. Le phénomène ne fut pas seulement parisien, mais se développa aux quatre coins de la France, voire partout en Europe… De plus en plus de monde venait au Golf, "le Métier" commençait à se dire que l'endroit était peut-être une mine de jeunes talents… alors on y passait.
En avril 61, Albert Raisner tourna au Golf sa première émission TV, Age Tendre Et Tête De Bois (du nom d'une chanson de Gilbert Bécaud), qui remporta un gros succès cette année-là. Il installa ses deux caméras entre le Seeburg, le piano mécanique et le bar et Les invités furent Gilbert Becaud Nancy Holloway et puisEddy avec les Chaussettes qui, du même coup, firent leur première télé !
Les tubes de la rentrée 61 furent Il Faut Savoir de Charles Aznavour, Le Moribond de Jacques Brel, Non Je Ne Regrette Rien d'Edith Piaf, Brigitte Bardot de Bob Azzam, mais aussi 24000 Baisers interprété par Johnny, Daniela par Les Chaussettes, Trois En Amour par les Chats Sauvages et Dick Rivers, nouvellement montés de Nice. Au niveau international les hits furent Apache des les Shadows et What I Say de Ray Charles.
Dans une ambiance surchauffée et grâce a un public toujours plus nombreux, le Golf eut besoin de plus de place. Pour en trouver, Henri fit réduire de moitié le parcours du Golf miniature pour que les musiciens les plus acharnés puissent "déménager à mort", que demander de plus?


 1962 Année du Twist et du tremplin
C'est en voyant le film "Hey! Let's Twist"Joey Dee apparaissait et chantait sur la minuscule scène de son club le "Peppermint Lounge", que Henri eu l'idée de créer le fameux tremplin. Avec son ami Roger Frey, aussi mordu de rock que lui et chroniqueur de la page "Nouvelle Vague" dans La Presse Magazine, il mit au point ce qui allait devenir le rite sacré de chaque vendredi : sur la scène du Golf, un spectacle de rock où se succèderaient cinq ou six groupes à raison d'une demi heure chacun; le vainqueur de ce concours serait récompensé par un prix et repartirait avec un diplôme dûment signé de la main d'Henri attestant de la victoire de tel groupe, tel jour sur la scène du prestigieux Golf Drouot.…
Les grands panneaux situés entre les fenêtres qui donnant sur le carrefour Drouot furent décorés de façon magistrale par Long Chris : sur un fond rouge, il peignit les portraits stylisés d'Eddie Cochran, de Johnny, de Gene Vincent ! Tous les copains étaient fiers de leur nouvelle salle de concert. Le tremplin était construit et fut inauguré spontanément le 30 mars 1962 par Les Loups-Garous, un groupe de cinq Niçois venu pour être auditionné. Henri les fit monter sur la scène encore vierge du tremplin, et ils jouèrent sous les ovations des autres groupes présents.

Johnny, seul à pouvoir dédicacer son panneau
Les Loups-Garous devinrent une des nombreuses productions du label Golf Drouot. le groupe enregistra son premier disque Cocktail Boum, seul titre où Henri exerça ses talents d'auteur.
L'ouverture officielle se fit le 6 avril 1962 avec le patronnage de La Presse Magazine. Au programme: Election de Miss Twist 62, Long Chris & les Daltons Jeffrey et les Lords et Les Meteores. La "Miss Twist" reçut son prix des mains d'Annie Cordy et de Luis Mariano arrivés dès la fin de leur spectacle à la Gaîté-Lyrique. Les Chaussettes et Eddy (maintenant vedettes) leur avaient fait l'amitié de venir.
Un Eddy aux cheveux très courts (car déjà incorporé), "boeufa" la version Elvis de Mean Woman Blues, ainsi que le Peppermint twist version Chaussettes.
L'affluence était telle que la salle sembla sur le point d'exploser et Henri dût fermer les grilles du rez-de-chaussée afin de préserver un minimum de securité.




2 rue Drouot
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L'inauguration triomphale du Golf fut suivie de nombreuses prestations. Chaque vendredi depuis ce jour, quatre ou cinq groupes se produisirent sur cette scène. Le rythme ne fut jamais ralenti, car la demande était énorme. En quelques mois des milliers de groupes amateurs s'étaient formés. Les marchands d'instruments de musique vendirent plus de 20.000 guitares électriques cette même année. Pour tous, le passage du vendredi soir au Golf était le tremplin vers la gloire. Le Golf a rempli sa mission et, s'il y eut des perdants, aucun de ces groupes ne regrettera jamais d'avoir un jour, eu la chance de "passer" sur la scène du Golf Drouot.



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