A l’arrêt du bus, une machine vous délivrait un ticket avec un numéro
d’ordre, ce bout de papier ne vous autorisait pas à voyager mais permettait de
faire monter les gens dans le véhicule selon un ordre précis, ce qui
interdisait aux resquilleurs de griller la politesse à ceux attendant depuis
plus longtemps qu’eux.
On montait dans le bus par l’arrière, par la fameuse plateforme où vous
attendait le receveur. Homme orchestre et à tout faire, il incarnait ce mode de
transport à lui tout seul. Un uniforme avec casquette plate, pour la prestance
et l’affirmation de son autorité, et, suprême distinction, une boîte métallique
grise à manivelle fixée à la ceinture sur le ventre, avec laquelle il
compostait bruyamment votre titre de transport. Sur la plateforme ça se
bousculait un peu, les usagers poussaient pour monter et comme la marche était
haute ce n’était pas une sinécure pour tout le monde, le contrôleur contrôlait
puis vous dirigeait vers l’intérieur du véhicule et les places assises quand il
en restait, mais certains préféraient rester sur la plateforme, à l’air libre,
qu’il pleuve ou qu’il vente, pour fumer ou parce qu’ils descendaient bientôt et
qu’entrée et sortie se faisaient par ce même lieu. Reconnaissons que c’était un
sacré bazar entre ceux qui montaient, ceux qui descendaient et ceux qui
stationnaient, avec le contrôleur au milieu détachant ou rattachant la petite
chaîne qui servait de porte d’accès.
Les retardataires couraient sur la chaussée, hélant l’autobus et quémandant
la clémence de l’homme en uniforme qui parfois retirait la chaîne le temps que
le passager saute dans le bus en marche. A cette époque, voyager pouvait
s’avérer risqué. D’autres fois, incorruptible et pour manifester sa supériorité
sur le pékin pédestre, il laissait le quidam s’essouffler comme un damné au cul
de l’autobus jusqu’à ce que le malheureux n’en puisse plus ou réalise qu’il
était arrivé à destination ; manifestation puérile d’un mince pouvoir
qu’on rencontre tous les jours, dans tous les métiers. Le contrôleur avait
aussi une mission bien précise, c’est lui qui donnait le signal du départ au
conducteur par le biais d’une chaîne avec une poignée en bois pendant du
plafond. Un peu comme une chasse d’eau dans un WC à la turque. Mission de
confiance et de prestige, donc.
Vous l’aurez deviné, tous les gamins de mon âge ne rêvaient que d’une seule
chose, voyager sur cette plateforme, cramponnés à la rambarde qui leur arrivait
à la hauteur des yeux, sentir le vent dans leurs cheveux, rire des malheureux
arrivés trop tard à l’arrêt et s’émerveiller de la drôle de machine à manivelle
qui dormait sur le ventre du contrôleur, tout en espérant secrètement pouvoir
tirer sur la chaîne si l’occasion s’en présentait.
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