En 1965, Daisy de Galard est journaliste au magazine Elle. Cette
jeune femme, née en 1929, n'a aucune expérience de la télévision mais
connaît bien le public féminin. Selon un sondage de l'Ifop, à peine 30 %
de ses lectrices ont fait des études secondaires ou supérieures, 21 %
travaillent et 79 % sont des «ménagères».
Si la société gaullienne reste profondément conformiste et
patriarcale, l'émancipation du deuxième sexe est néanmoins en marche. La
réforme du régime matrimonial de 1804 vient de passer : les femmes
peuvent gérer leurs biens elles-mêmes, ouvrir un compte en banque et
exercer une profession sans l'autorisation de leur mari.
Cette même année, Claude Contamine, directeur de l'ORTF, demande
à Daisy de Galard de créer une émission destinée au public féminin.
Ce magazine va naître quasiment en même temps que la deuxième
chaîne de télévision. Claude Contamine lui donne carte blanche et lui
accorde un gros budget sans aucune clause d'audience. Daisy de Galard,
qui n'a nullement l'intention de produire une copie servile et mièvre
des programmes féminins de l'époque, a l'intelligence de s'entourer de
gens qui ne font pas partie du sérail de l'ORTF. Elle recrute de jeunes
cinéastes avant-gardistes (Jacques Rozier, Agnès Varda, ...), prend pour
scénaristes Michel Polac, Roland Topor, Remo Forlani. Et débauche des
photographes de mode du magazine Elle (Peter Knapp, Fouli Elia).
Enfin, elle confie à Michel Colombier, arrangeur des œuvres de
Gainsbourg, le soin de composer l'indicatif musical (The Big Team) de
l'émission. Une petite musique pop et acidulée, dont le succès fut tel
qu'elle devient en 1968 l'indicatif de la première publicité pour les
collants Dim et qu'elle deviendra, la même année, une chanson de France
Gall (Dady da da) sur des paroles de Pierre Delanoë.
Quant au titre de l'émission, trois syllabes en condensent le
concept. «Dim» pour dimanche, jour de diffusion du programme, «Dam»
parce qu'elle s'adressait aux dames et que c'est une femme qui la
produisait, «Dom» parce que des rubriques masculines étaient prévues et
que c'était un homme, Claude Contamine, qui était à l'origine du projet.
Dès sa première diffusion, «Dim Dam Dom» fait mouche et va, un
dimanche par mois, attirer les téléspectateurs devant leur écran. Entre
1965 et 1971, 70 émissions seront produites. L'esprit est
anticonformiste, le ton enlevé, la forme décalée. L'émission, qui dure
environ une heure, se compose d'une dizaine de séquences courtes mixant
les genres et les sujets.
Daisy de Galard ne se contente pas de décaper la mise en scène
de thèmes dits féminins comme la mode et la beauté mais donne à voir le
quotidien socio-économique des femmes des années 1960, peu montré
jusqu'alors sur le petit écran.
Dès le premier numéro, Marcelle Auclerc interviewe une
infirmière en psychiatrie sur ce que lui apporte son métier tandis
qu'Anne Philipe s'interroge sur ce qui peut bien se passer dans la tête
d'une femme enceinte.
Dans le même temps, l'émission invente un nouveau langage
télévisuel en multipliant les effets de distanciation pour capter
l'attention du téléspectateur. Mannequins décadrés sur fond blanc,
défilés de haute couture avec des commentaires décalés, plans au ralenti
ou en accéléré, «Dim Dam Dom» s'affranchit de la forme pour en dégager
du fond.
Au-delà de ces trouvailles, «Dim Dam Dom» frappe par
l'excellence de son contenu, par son bouillonnement culturel continu
alimenté par des artistes, des écrivains, des intellectuels de tous
bords. Qui oserait dans le paysage audiovisuel français actuel prendre
Jeanne Moreau comme speakerine, demander à Marguerite Duras
d'interviewer un millionnaire qui a fait fortune dans les voitures
d'occasion, confier à Agnès Varda le soin de filmer une scène de ménage
entre Elsa Triolet et Louis Aragon ?
Du temps de «Dim Dam Dom», la télévision n'avait pas encore
inventé la vulgarité, la culture n'était pas un gros mot mais un moyen
d'enrichir l'individu quel que soit son niveau d'éducation. Si près de
cinquante ans plus tard, cette émission est toujours aussi culte, c'est
parce qu'elle a véritablement su offrir de «grands moments de
télévision», sans équivalent aujourd'hui.
Perle mémorable, l'interview en 1968 d'Yves Saint Laurent
fustigeant le goût bourgeois. Ou encore, la même année, celle de
Gabrielle Chanel dont la liberté de ton serait interdite d'antenne
aujourd'hui. Interrogée par Jacques Chazot, la Grande Mademoiselle est
d'une misogynie sidérante : «Les femmes qui portent la culotte, ça me
dégoûte ! Je crois à leur faiblesse, pas à leur force. Elles ne sont
pas heureuses dans une époque comme celle-ci parce qu'on ne les aime
pas. Et une femme qui n'est pas aimée est une femme nulle !»
En février 1971, Nicoletta présente le dernier numéro de «Dim
Dam Dom». Daisy de Galard s'en explique alors ainsi : «Il faut savoir
s'arrêter.» On se demande encore pourquoi.
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