Camping
familial : souvenirs des années 60
Publié le 24 juillet 2009 par Argoul
Lorsque j’étais enfant, les années
1960 faisaient exploser le désir d’ailleurs. Les cadres et employés des villes
se souvenaient de leurs vacances à la campagne, le plus souvent à la ferme, et
désiraient retrouver un peu de cette ambiance là, mais en couple avec leurs
enfants. Ils ont fait l’essor du camping. Je me souviens de ma première tente à
7 ans, une lourde Trigano bleu roi avec chambre intérieure jaune pâle.
Nous la montions comme une maison, l’armature d’abord, près du sol, surélevée
au dernier moment par des piquets amovibles après avoir placé la toile
par-dessus. Puis les sardines pour fixer le tout au sol. Enfin la chambre
interne, maison dans la maison, où installer les matelas et les duvets pour
dormir. Les toilettes étaient communes aux campeurs, en 1962 de simples trous
dans des planches en bois et des pommes d’arrosage en batterie en guise de
douche – une salle commune pour les hommes, une autre pour les femmes et les
enfants en dessous de 7 ans.
Lorsqu’il faisait beau, monter la
tente et en sortir au matin était un bonheur. Une simple toile nous séparait du
dehors, l’air passait par les fibres et nous sentions déjà la température. Nous
étions en phase. Les odeurs d’herbe fraîche et de pelouse juste tondue, ou
parfois le parfum du café préparé par les voisins, descendait jusqu’à
nos narines. Nous sortions du cocon à peine un short enfilé pour aller jouer
au-dehors, ou nous débarbouiller aux toilettes du camp. Nous n’avions qu’une
hâte : retrouver les copains de la veille. Les parents partaient faire des
courses, nous restions à jouer en bande. Ils tenaient l’après-midi à nous
emmener en excursion ; nous préférions les jeux avec les autres garçons. Ce
n’était que lorsque les autres partaient eux aussi que nous suivions nos
parents. Le camping était le paradis des enfants. Il ne pouvait rien nous
arriver, le lieu étant clos et l’entrée surveillée.
Nous allions peu vêtus avec pour
seules contrainte d’être à l’heure aux rendez-vous familiaux : vers 13 h pour
le déjeuner, vers 15 h pour la promenade, vers 20 h pour le dîner et vers 23 h
pour l’extinction des feux. Les petits gars en été n’aiment pas les habits, ça
se salit, ça se déchire et ça gêne les mouvements. Au risque de s’écorcher, je
me souviens d’un petit copain qui avait dévalé une pente tête en avant et qui
était resté une bonne semaine le torse décoré de peintures de guerre. Il n’en a
pas remis un tee-shirt pour cela. Le reste du temps, nous étions libres.
D’une liberté inouïe, impossible dans n’importe quelle maison. Le camping
assemble les gens et les enfants se mêlent, parfois les parents font
connaissance, s’invitent et boivent un coup. Dans les bosquets du camp
au-dessus de Royat, les terrains vides plantés d’arbres fruitiers de
Bretagne, sous les amandiers d’Alicante, les pins de Menton ou les eucalyptus
de Cordoue, nous jouions à cache-cache, aux bagarres à cheval, les petits
montés sur les grands, nous taillions des bâtons, récupérions les balles de
golf du parcours voisin, ou simplement, dès dix ans, restions à discuter de
tout et de rien en comparant nos destinées. Un adulte qui nous écoutait assis
non loin de là, lorsque j’avais onze ans, nous a interpellé pour nous dire de
rester et de continuer, il aimait ça. Je parlais avec un gamin de mon âge, nous
devions tous les deux entrer en sixième, lui dans l’est et moi en
Île-de-France, nous appréhendions un peu.
Les jours de solitude, lorsque les
copains partaient à quelques jours d’intervalle et que de nouveaux n’étaient
pas encore arrivés ou apprivoisés, nous lisions. Je dévorais la série des
Mystères d’Enid Blyton, puis Bob Morane. Les aventures étaient meilleures la
peau à même l’herbe que dans sa chambre fermée dans l’année, avec les fourmis
qui vous grimpaient sur les jambes ou les moustiques qui zonzonnaient en fin de
journée. J’ai retrouvé cet agrément adulte, sous les tentes au Mexique, au
Tibet ou en Ethiopie, les fourmis étant remplacées par des scorpions.
Les jours de pluie étaient
différents des jours de beau, mais faisaient partie des vacances. Ces matins
là, il faisait frais et nous ne sortions pas sans enfiler sur la peau un pull
de laine et aux pieds des sandales ; curieusement, nous n’aimions pas avoir les
pieds mouillés les jours de pluie… S’il pleuvait trop, pas question de jouer
dehors. Nous devions nous réfugier sous l’auvent d’une tente de parents
accueillants, autour de jeux de société, Monopoly, tarots ou Mille
Bornes. Je me que nous avons joué, mon frère et moi, avec toute une famille de
Hollandais au Monopoly de là-bas, quelque part dans le sud. Ils nous traduisaient
les gages des cartes tirées dans un français composé de mots épars piqués dans
leur dictionnaire. Ils étaient tous grands, secs et musclés, tout blonds et
habitués à la vie en collectivité. Deux des quatre frères avaient à peu
près nos âges et ils venaient nous prendre après la sieste pour aller nager à
la piscine du camp. Nous n’avions pas de conversation autre que par mimiques et
rires partagés, agrémentés de quelques mots appris les uns des autres, mais
nous étions heureux et jouions fort bien. Même chose avec les petits Espagnols,
beaucoup plus râblés, bronzés et au cuir plus épais que le nôtre, en slip de
bain trois ou quatre mois sur l’année. Ils nageaient comme des dauphins,
plongeaient sans même tester l’eau et s’ébrouaient joyeusement. Nous étions
plus timides, surtout en début de saison, le corps pâle vite agacé
d’irritations solaires, frileux du contraste entre l’eau et le dehors. Il nous
fallait bien une semaine pour être de plain pied avec eux. J’ai appris de
l’argot espagnol avant même d’en étudier la langue au collège.
Nous perdions de vue bien vite tous
ces copains d’été. Le camping est un lieu de rencontres et d’oubli. Certains
restaient quelques jours, d’autres un mois entier. Si nous retournions au même
endroit l’année suivante, il n’était pas rare de retrouver les mêmes dont les
parents se plaisaient à l’endroit. Ce fut ainsi le cas d’un trio de gamins de
Foix, copies conformes se succédant à deux ans d’intervalle, couleur pâte à
pizza à l’arrivée mais cuits comme du pain après quelques jours pour ne porter
jamais aucun habit de tout le jour, fors le slip de décence. Mon frère et moi
les admirions pour cette constance d’habitudes, pour cet ordre du trio
familial, pour leur accent chantant qui disait les vacances. Nous nous sommes
écrits trois ans durant sur cartes postales à Noël, et puis tout passe. Une
année, ils ne sont pas venus au camping d’Alicante, nous avons grandi, les
avons oubliés. J’était à l’âge où m’intéresser à une Sylvie, cousine de mon âge
d’un copain de mon frère, un certain Patrick de 10 ans. Ce vigoureux gamin de
militaire corse était affectueux envers moi, l’intérêt que je portais à sa
cousine le titillait.
Camper était une aventure humaine et
technique, une transplantation ailleurs et dans une autre dimension. Nous
portions notre maison sur notre dos, les bagages sur la galerie de l’Aronde
Simca ou – plus tard – la caravane à l’arrière de l’ID Citroën. La
tente, nous y sommes restés fidèles, même après que les parents aient préféré
la caravane. Nous avions notre toile à côté, réservant le dur pour les jours de
pluie. Le temps des vacances était bien délimité par ces habitats en camps,
rien à voir avec les bungalows, les hôtels ou les maisons de famille qui
rappelaient la nôtre ! Nous étions nomades, une semaine ici, un jour ailleurs ;
nous pouvions partir à tout moment.
On me dit aujourd’hui que le camping
familial a bien changé, est devenu plus sédentaire et plus luxueux. Il s’est
rapproché du camp de vacances, organisé, socialisé, avec des salles de réunion,
des activités pour enfants et des moniteurs de sport pour les ados. Est-ce
mieux ? Je n’en suis pas si sûr. Mais peut-être le blogueur mondain spécialiste
du sujet va-t-il nous faire l’amitié de nous écrire un Petit Champetier des campings pour nous
convaincre, tout comme il existe un Petit Champerrard des meilleurs restaurants
?
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