La nuit de la Nation

La folle nuit de la nation - 22 juin 1963

Le samedi 22 juin 1963, afin de célébrer le premier anniversaire du magazine "Salut les copains", Daniel Filipacchi organise sous l’égide d’Europe n°1 un concert gratuit Place de la Nation, à Paris. La seule publicité est une annonce que Daniel fait lui-même à l’antenne : « Venez tous samedi soir à 9 heures, place de la Nation ».

Y sont conviés : Danyel Gérard, Mike Shannon, les Chats Sauvages, les Gam’s, Richard Anthony, et bien sûr le couple le plus glorieux de sa génération : Johnny Hallyday et Sylvie Vartan.

Ces derniers, en plein tournage en Camargue du film "D'où viens-tu Johnny" de Noël Howard, embarquent ce samedi soir à 19 heures dans un avion affrété par Europe n°1, venu les chercher à l’aéroport de Nîmes. Quelques heures plus tard, devant la cohue indescriptible qui règne autour de l’avenue du Trône où le gigantesque podium a été dressé, le couple tant attendu (accompagné de Carlos) est rapatrié dans un premier temps au commissariat de Daumesnil – l’occasion pour eux d’enfiler leur costume de scène – puis, tandis que Richard Anthony est déjà sur scène, c’est en fourgon de police qu’ils frayent la foule de plus de 150 000 copains (et non pas 50 000 comme envisagé) qui les attendent avec une impatience qui frise l’hystérie.

Le soir de l’événement, les organisateurs du spectacle appellent la police en renfort pour faire face à une foule de 150 000 jeunes. Les artistes chantent leurs chansons dans un délire total. 3 000 policiers encadrent les jeunes. Ce type de rassemblement était tout à fait nouveau à l’époque, et ce fameux concert de la place de la Nation où 150 000 copains yé-yé affrontent les flics, a réveillé tous les maux de la société française.

La folle "nuit de la nation " constitue un événement sans précédent dans l’histoire de la chanson, et désigne malgré eux Johnny et Sylvie comme les porte-drapeaux de leur génération. "D'en bas, je ne me rendais pas compte de ce que représentait cette foule, racontera Sylvie. C'est une fois sur le podium que j'ai réalisé et, alors, j'ai eu peur. On ne peut pas savoir ce que c'est que d'entendre scander son nom par 200 000 personnes. Ça donne des frissons : on se sent atrocement seul... Johnny était tout à fait détendu et, quand mon tour de chanter est arrivé, il m'a encouragée en me hurlant à l'oreille – il y avait vraiment trop de bruit pour se murmurer des mots doux : Vas-y, tu vas faire un malheur !"

La fête est cependant gâchée par 15 bandes de 20 à 30 "blousons noirs" venues séparément de Belleville, de la place d’Italie ou de Joinville sans se donner le mot. Se mêlant à la foule, ces quelques 500 loubards causent bon nombre de dégâts : vitrines brisées, boutiques pillées, voitures démolies, spectateurs et passants blessés ou molestés, adolescentes dévêtues, une jeune fille de 17 ans violentée et évacuée à l’hôpital Rotschild…

Le lendemain, la presse se déchaîne. Pierre Charpy scande dans "Paris-Presse" : "Salut les voyous !" Philippe Bouvard se demande dans "Le Figaro" : "Quelle différence entre le twist de Vincennes et les discours d'Hitler au Reichstag ?" Edgar Morin, dans "Le Monde ", se livre à une analyse sociologique titrée : "Le temps des Yé-yé". L'expression restera. Quant au général de Gaulle, il aura cette réflexion demeurée célèbre : "Ces jeunes ont de l’énergie à revendre. Qu’on leur fasse construire des routes !"

Un vrai mini-Mai 68, cinq ans auparavant. À partir de ce moment-là, naît la déchirure entre les générations. D’un côté, il y a les anciens, ceux qui ont connu la guerre et qui ne pensent qu’au travail, de l’autre, ces jeunes gens nés du baby-boom, qui n’attendent qu’une bonne occasion pour s’amuser.Cette incompréhension ne cessera de s’accentuer au fil des mois et des années.

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